Bercé de souvenirs de livres de voyages et d’aventures parcourus durant mon enfance qui ont forgé mes clichés sur la Russie, j’ai été très agréablement surpris de découvrir que l’Oural, loin d’être le désert de sapins et de bouleaux hanté d’animaux plus féroces les uns que les autres, était un lieu accueillant où le minéral côtoie harmonieusement le végétal et l’animal souvent agrémenté d’un soupçon de légende et de mystère qui accroît d’autant plus son charme. Car il faut savoir qu’en France, un livre en particulier a forgé et forge encore l’esprit rêveur des jeunes Français et ce livre c’est Michel Strogoff écrit en 1876 par un des maîtres incontesté des romans d’aventures : Jules Verne. L’un des faits marquants de ce récit (qui est pourtant un simple détail du roman) est le combat que livre Michel Strogoff avec un ours (de « grande taille » écrit Jules Verne) sur la route qui le mène de Moscou à Irkoutsk. Or, ce combat a lieu durant une étape de repos dans l’Oural après avoir quitté Perm et tout juste avant d’arriver à Ekaterinbourg. Les Français après avoir lu Michel Strogoff pensaient tous que la Russie était un pays où il était très difficile de voyager car les chemins (s’ils existaient) étaient semés d’embûches (comme ceux que le héros de Jules Verne a traversés) et la nature y était très hostile. Les présentations que j’ai pu visionner avec grand intérêt m’ont permis de réviser mon jugement. J’ai ainsi appris qu’il y avait quelques grandes villes dans l’Oural telles : Nijni-Taguil, Perm et Ekaterinbourg dont j’ai découvert l’histoire qui, contrairement à ce que j’imaginais est très riche et ce, malgré leur relative jeunesse. En effet, toutes les 3 fondées au début du XVIIIe siècle, elles passent pour des « jeunettes » à côté de la majorité des vénérables villes françaises qui ont toutes près de mille voire plus de deux mille ans pour certaines. J’ai été curieux et également envoûté d’apprendre que sur le sol de l’Oural vécut une des premières civilisations sédentaires au monde qui avait pris place dans la ville circulaire connue sous le nom d’Arcaïm. Le nom qui n’est certes pas français, je l’ai appris en regardant et écoutant les présentations, a quelque chose de magique car dans la langue de Molière il fait référence à un autre mot qui lui sied parfaitement ; le mot : « archaïque » dont la prononciation diffère uniquement par le dernier phonème « im » contre « ik ». L’Oural ne serait bien sûr pas l’Oural si je ne parlais pas de ses montagnes, de ses lacs et des ses étendues « sauvages » au sens positif du terme c’est-à-dire des lieux naturels. Ainsi, beaucoup de présentations s’accordaient à mettre en valeur les parcs qui parsèment ce vieux massif et, quelle n’a pas été ma surprise en me disant en mon fond intérieur : « ces photos pourraient être issues de parcs français ». Ce compliment est d’autant plus justifié que j’ai en respect les parcs naturels français qui sont pour moi un modèle de beauté et de nature sauvegardée. Plus encore que la qualité des présentations, j’ai beaucoup aimé la poésie qui en ressortait : poésie des images mais également des textes qui marquait une recherche artistique accomplie montrant des participants parfois à la limite du professionnalisme. Lorsqu’on aime quelque chose, on veut forcément donner le meilleur de soi-même pour faire découvrir sa passion. Et, j’ai trouvé tout cela dans l’ensemble des présentations que j’ai eu la chance d’admirer. La preuve la plus marquante que le but a été atteint car j’attends avec impatience les jours d’été où je pourrai, soyez-en sûrs, visiter de visu in situ quelques lieux magiques qui ont marqué mon esprit. Chacun sait que voir et vivre les choses sont deux concepts très différentes mais foncièrement complémentaires. Mais en attendant de me rendre au Lac Talkov, au Ruisseau des Cerfs ou autre lieu, un petit détail m’a amusé en regardant l’une des présentations et je ne tarde à vous livrer les fruits de ma recherche que je vous transmets ci-après : Dans l’ensemble des diaporamas que j’ai regardés avec beaucoup de minutie, dans une présentation qui parlait de Nijni-Taguil, je suis tombé sur l’image d’une statue en bronze située à Ekaterinbourg dans la rue piétonne Vaïnera. Cette statue représente un personnage sur un vélo de modèle Grand Bi (dont la roue de devant est beaucoup plus grande que celle de derrière) avec le texte : Inventeur du vélocipède Efim Artamanov 1800.
Lors d’un récent cours que j’ai préparé sur les inventions et les inventeurs français il est noté qu’un Français avait inventé le pédalier qui permet de mouvoir le vélo. J’avais tout naturellement fait des recherches sur le vélocipède. Durant mes recherches je n’avais jamais trouvé le nom d’Artamanov nulle part dans tout le web francophone, source principale de la matière de mes cours. J’ai donc décidé d’approfondir ma recherche en cherchant d’abord dans le web anglophone. J’ai commencé à trouver quelques informations mais qui me renvoyaient généralement à des pages russes alors je me suis résolu à consulter quelques pages du web russophone. Je vous livre ici le résultat de mes recherches toutes langues confondues : Efim Mihéevich Artamanov (1776-1841) ou l’histoire de l’inventeur russe du vélocipède en 1800. Une légende embellie au fil des ans. L’histoire commence sous le sceau de la véracité, colporté par l’historien Evgueni Belov (1826-1895) qui, dans son « Essai sur les Usines du Mont Oural » publié à titre posthume en 1896 parle pour la première fois de ce vélocipède et de son inventeur. Trop crédule, il a probablement été alors abusé par un habitant de Nijni-Taguil. Preuve de la naïveté de cet historien et de son manque de professionnalisme, il ne s’aperçoit pas que le nom de l’empereur que son informateur lui a donné ne coïncide pas avec les dates de règne de celui-ci. La légende est en marche… Et, les faits décrits par Belov seront repris ultérieurement mais corrigés par des historiens plus scrupuleux de la lignée des souverains russes. Mais l’histoire s’étoffe vraiment au moment de la campagne de recherche « des priorités russes» dans les domaines de la science et la technique colportés par les ethnographes régionaux qui sont chargés de mettre en avant les inventeurs russes qui seront ensuite couchés par écrit dans la grande encyclopédie soviétique. Les publications, notamment celle de 1948 suivie de nombreuses autres dans les années 50 et 60 vont compléter et agrémenter l’histoire. Ainsi, on voit apparaître un patronyme mais également les dates de naissance et de décès d’Artamanov dont on apprend également qu’il est l’inventeur d’autres véhicules de locomotion. Ce n’est vraiment que dans les années 80 que des personnes commencent à mettre en doute cette histoire avec la sortie de l’article : « Histoire d’une mystification » en 1987. Une voix s’était déjà élevée en 1948 : celle d’un professeur de l’histoire des techniques, Victor Danilevsky (1898-1960), qui remettait en doute l’année supposée de l’invention, vite étouffée la même année par la parution d’écrits d’autres scientifiques soviétiques. Ainsi Efim Artamanov, serf-forgeron de la famille Demidov apparaît en 1800 comme l’inventeur russe du vélocipède à pédale et ce, bien avant le baron allemand Drais qui inventa le premier vélocipède en 1817 (breveté en 1818) suivi du vélo à pédale inventé en 1861 par Pierre Michaux, un serrurier parisien. Si on regarde de plus près la machine qu’Efim Artamanov aurait construite - car cette machine existe - : l’originale est exposée au Musée de Nijni-Taguil et une copie à Moscou ; on se rend compte qu’elle ressemble étrangement à des vélos produits alors en Angleterre vers 1880 dits « modèle araignée » (en raison de la forme des roues aux multiples rayons qui ressemblent à des toiles d’araignée), archétype du Grand Bi alors à la mode. Ce fait est d’ailleurs corroboré par l’étude du métal du vélocipède d’Artamanov, qui n’a pu être produit, selon les spécialistes qui ont conduit l’étude, qu’à partir de 1876 (année du début de production à Nijni-Taguil d’acier Bessemer dont la pièce testée porte les marques). - Les septiques diront que la pièce de métal testée appartient a une copie tardive du vélo d’Artamanov - . Là où le doute n’est plus permis c’est que l’histoire légendaire d’Efim Artamanov se mélange avec celle de ses maîtres. Comme le fondateur de la dynastie Demidov, un ancien serf-paysan devenu un forgeron libre du nom de Demid Antoufiev dont le fils Nikita sera anobli par le Tsar Pierre Ier. Efim Artamanov est, selon la légende, libéré de son servage ainsi que ses descendants par l’Empereur Paul Ier après s’être rendu à vélo en 1801 à son couronnement (histoire rapportée par Belov). Les historiens rectifieront l’anachronisme à posteriori, en remplaçant Paul Ier par Alexandre Ier. Comme Paul (Piotr) et Pierre (Pavel) sont deux prénoms courts commençant par la même lettre, cela apporte un crédit supplémentaire en faveur de la version du transfert d’une histoire vraie vers une histoire inventée. N’étant pas à un exploit près, Artamanov aurait relié la ville de Verkhotourié dans l’Oural à Moscou sur son vélo et aurait ainsi réalisé le premier cross country au monde sur une distance de plus de … 1000 vestes (1 veste russe = 1067 m). Cet exploit fut salué par l’empereur comme il se doit à son arrivée à Moscou. Une autre légende raconte qu’Artamanov aurait également relié la ville de Nijni-Taguil à Ekaterinbourg avec son vélo et durant le voyage réalisé à vive allure, il aurait effrayé tous les chevaux sur son passage. Mais une énigme persiste . Quand et comment ce vélo a-t-il été construit à Nijni-Taguil ? Car la provenance du métal, elle, est bien confirmée. Pour comprendre cette énigme, il suffit de faire un retour en arrière dans les différentes expositions universelles et internationales auxquelles les usines Demidov ont participé. Ainsi on peut trouver qu’en 1862, les usines Demidov remportèrent un prix à la Grande Exposition de Londres pour la qualité de leur production de fer, d'acier et de cuivre, quelques années après avoir fourni le fer qui a servi à réaliser le toit du Parlement Britannique fraîchement reconstruit. Elles renouvellent cet exploit aux expositions de Paris en 1867 et 1878. En 1900 toujours à Paris, elles obtinrent encore une médaille d'or. A l’époque de ces grandes expositions, le vélocipède dont le premier modèle à succès, le modèle Michaux produit en 1867, a un très gros engouement auprès des foules. Il n’est pas interdit de penser qu’un employé ou un des patrons lui-même ait demandé une fois de retour en Russie qu’on construise un vélo identique à celui qu’il avait vu en Europe. Fait supplémentaire pouvant corroborer cette hypothèse, lors de l’Exposition Internationale de Paris de 1878, le vélo est à l’honneur après l’invention du Grand Bi par le Français Victor Renard un an plus tôt. Et comme le Grand Bi, par sa forme, est le cousin direct du vélocipède d’Artamanov, il n’est pas impossible d’imaginer que c’est juste après cette exposition que le vélo d’Artamanov ait été forgé dans l’Oural vers 1878 en accord avec la date proposée par les experts qui ont testé le métal. Remarque complémentaire : Les expositions annuelles d’auto, moto et vélo débutent en Angleterre en 1878, il faudra attendre 1894 pour la France. Si on regarde avec attention, les trois vélos de Michaux, de Renard et d’Artamanov en jugeant uniquement leur forme, on peut croire que le vélo d’Artamanov est un chaînon intermédiaire entre les deux autres.
Статья очень интересная и поучительная как для французов, так и для русских. Интересно, как французы относятся к тому, что Попов у нас считается открывателем радио. Мои знакомые французы были весьма удивлены услышать новые для них факты. Большое спасибо Эрику за его тщательные исследования. Bonne continuation! Часто иностранцы заставляют нас по-другому посмотреть на нашу историю.
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